Quand Thoutmosis III et Padiamenopé rencontrent le Moyen Empire : paddle dolls neutralisées et modélisation en 5D (espace – temps – typologie)

Par Frédéric Colin, Chaire Marc Bloch de l’USIAS, Université de Strasbourg, CNRS, UMR 7044 Archimède

Abstract: This paper reports on experiments in digital archaeology focused on two fragments of so-called ‘paddle doll’ figurines dating from the Middle Kingdom but discovered in 2023 in a 7^th century BC context in al-Asasif. It is intended both as a progress report on the project “Digital Archaeology in a Monumental Necropolis in Thebes, Egypt”, sponsored by the University of Strasbourg Institute for Advanced Study, and as a supplement to the report “Assassif (2023). Le mur de Thoutmosis III et les ateliers de Padiamenopé”, published in BAEFE 2024 (Colin & Hartenstein et alii 2024).

The first objective is to propose a new method of 5D modelling to provide a solution to two classic difficulties encountered in stratigraphic excavations and their publication protocols.

1. 1. Archaeological digging is a destructive procedure where the observer erases data in the same process as he records it.
   2. The formal conventions of chronostratigraphic synthesis imagined by Edward C. Harris (1979) based on his experience of excavating settlement contexts known for their complex stratigraphy are in fact a highly abstract tool. Indeed, the disembodiment and decoupling of the so-called ‘Harris matrix’ from other documentary evidence makes it difficult for the reader to ‘falsify’ (in an epistemological sense) the archaeologist’s interpretation.

The first three dimensions of the 5D model provide a tangible image of the strata that the excavator destroyed as he progressed. The fourth dimension links the ‘Harris matrix’ directly to the corresponding stratigraphic layers, reconnecting it to the rest of the visual documentation of the site and allowing the reader to empirically assimilate and possibly refute the chronological and spatial framework established by the archaeologist. Finally, the fifth dimension offers the possibility of integrating an additional level of typological interpretation in the same virtual space.

The second aim of this article is to present two new examples of female figurines known as ‘paddle dolls’ and to discuss the outcomes and views of a number of important publications that have appeared in the first decades of the twenty-first century. Among others, we will review interesting studies by Morris 2011 & 2017, Díaz Hernández 2017, and Moreno García 2017, whose interpretations of the image we will consider based on a method that distinguishes three different levels of analysis.

1. 1. The denotative level: what do the signs that make up the figurines literally represent?
   2. The connotative level: what semantic cluster do these signs belong to in the minds of the Egyptians?
   3. The pragmatic level of interpretation, which aims to analyze the specific situation in which the artist has placed his composition of signs to make it perform a particular function, either predicative (to commemorate or convey information about something) or performative (to actualize an ontological assertion, a status, a situation or an action). What specific meaning does he ascribe to them in a given context of use?

The context in which the two new examples were discovered merely confirms the importance of this type of artefact in the funerary culture of the Theban elite in the entourage of Montuhotep II, without providing any new clues as to the meaning of these objects. On the other hand, the stratigraphic modelling of the archaeological context highlighted the long journey of these objects between their first deposit in a tomb at the beginning of the Middle Kingdom and their successive removals by Thutmose III’s and then Padiamenope’s workmen. The material condition of the two pieces indicates that they were deliberately broken by people working in the necropolis at some point in this artifact biography. We can therefore add this find to the collection of ‘broken images’, which has also been the subject of considerable bibliographical production in recent years.

Pour citer cet article : Frédéric Colin, « Quand Thoutmosis III et Padiamenopé rencontrent le Moyen Empire : paddle dolls neutralisées et modélisation en 5D (espace – temps – typologie) », Carnet de labora­toire en archéologie égyptienne, 25/08/2024, https://clae.hypotheses.org/4084, consulté le xx/xx/xxxx.

Sommaire

• 1. Introduction
• 2. Méthode
• 3. Résultats et observations
  • 3.1. Le contexte stratigraphique
    • 3.1.1. Construction de la rampe
    • 3.1.2. Fonctionnement et destruction de la chaussée
    • 3.1.3. Phase intercalaire
    • 3.1.4. Début des travaux de Padiamenopé
    • 3.1.5. Datation contextuelle des deux « paddle dolls »
  • 3.2. Deux fragments de « paddle dolls » et un bâtonnet
    • 3.2.1. Fragment de figurine féminine de type « paddle doll », AS-2023-1598-12
    • 3.2.2. Fragment de figurine féminine de type « paddle doll », AS-2023-1596-1
    • 3.2.3. Tige en bois sculpté AS-2023-1596-2
• 4. Discussion
  • 4.1. Une stratigraphie inversée
  • 4.2. Un contexte tertiaire
  • 4.3. Une destruction volontaire
  • 4.4. Le corpus des « padlle dolls »
• 5. Conclusion
  • 5.1. De la « matrice de Harris » à la maquette en 5D espace – temps – typologie
  • 5.2. Paddle dolls neutralisées
• 6. Données numériques en ligne
• 7. Bibliographie

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1. Introduction

À la suite d’un essai d’épigraphie numérique publié dans une livraison précédente de ce Carnet de laboratoire ¹, la présente contribution prolonge la démarche expérimentale en se focalisant, cette fois, sur la construction d’un espace virtuel de synthèse (fig. 1) en aval des opérations de relevé systématique sur le terrain. Ce dispositif permettra de visualiser l’évolution spatiotemporelle d’un contexte archéologique stratifié en combinant dans un univers commun une séquence signifiante de modèles 3D issus de la photogrammétrie (field surveys)².

2. La conception de cet outil de synthèse répond à un des objectifs méthodologiques d’un projet lancé à l’occasion d’une « Action interdisciplinaire 2017 » du CNRS, intitulé : Modélisation et intégration 4D de données stratigraphiques, géophysiques et archéométriques pour l’étude du temple funéraire de Pétamenopé. Le prolongement de nos travaux mène à intégrer désormais une cinquième dimension, permettant de manifester l’interprétation typologique du fouilleur, conjointement aux informations d’espace et de temps.

3. Comment la modélisation en plus de trois dimensions, voire le « maquettisme » numérique d’une succession d’états stratigraphiques révélés par une fouille en aire ouverte permettent-ils d’améliorer la qualité et la réfutabilité (au sens poppérien³) de la documentation contextuelle sur laquelle reposent l’interprétation et la démonstration du fouilleur ?

4. Pour ce nouvel exercice méthodologique, le choix a porté sur deux objets intéressants, découverts lors de la campagne de fouille 2023 à l’intérieur de l’enceinte de Padiamenopé (Tombe thébaine 33). Il s’agit de fragments de deux « paddle dolls »⁴ – une classe de figurines féminines en bois souvent mises au jour dans la vallée de Deir el-Bahari et de l’Assassif⁵ –, que nous avons trouvés dans un contexte d’un type généralement malaimé des archéologues, car il est malaisé de le faire parler : un tas de « déblais ».

5. Ce terme, ici employé dans son sens strict (matériaux dispersés ou entassés sans intention constructive au départ du creusement d’une fosse ou par une opération de déblaiement), s’insère dans une série lexicale dissimulant souvent, en archéologie égyptienne, une interprétation un peu vague d’un contexte perçu comme confus : Schutt, rubble, debris, detriti, ردم (anglicisé ou francisé en radîm), remblai, gravats, déblais, décombres, etc. Ces termes ne sont aucunement synonymes et les auteurs les détournent quelquefois de leur acception propre pour suggérer une impression globale de confusion, par opposition, par exemple, à un dépôt clairement identifié sur un sol ou dans un ensemble clos, homogène et bien scellé.

6. L’intérêt du cas d’étude sélectionné procède de deux facteurs :

• 1. les deux figurines funéraires ont vécu un long voyage de plus d’un millénaire entre leur dépôt originel, dans une tombe du Moyen Empire, et leur rejet, au VII^e siècle avant notre ère, dans les déblais où elles ont achevé leur déplacement en position (au moins) tertiaire.
• 2. La caractérisation systématique des déblais et des remblais fouillés permet d’identifier en l’occurrence plusieurs étapes de cet itinéraire.

7. Ce parcours complexe est donc particulièrement indiqué pour apprécier comment la modélisation en cinq dimensions de la stratigraphie peut contribuer à étayer la construction d’une biographie d’artéfact – ou à sa réfutation éventuelle par le lecteur.

2. Méthode

8. La méthode imaginée ici vise à résoudre deux difficultés classiques de la fouille stratigraphique et de ses protocoles de publication :

• 1. La fouille est une opération destructive, qui efface les données à mesure que l’observateur les enregistre. Lorsque le fouilleur a décrit et déposé un niveau stratigraphique et qu’il s’emploie à caractériser et interpréter la strate suivante, il n’a plus sous les yeux la couche qu’il vient d’enlever. Elle n’existe tout simplement plus et les photographies qu’il a pu accomplir lui offrent une vision généralement incomplète et déformée par la perspective. Au niveau suivant, la déperdition mnésique s’aggrave avec l’oubli progressif des détails – ceux qu’il avait identifiés comme signifiants au moment de la phase de fouille, et qu’il avait donc décrits, dessinés, photographiés, mais aussi ceux qui lui ont échappé ou dont il n’a pas compris immédiatement l’importance. À chaque nouvelle étape de l’effeuillage stratigraphique, les strates de souvenirs se superposent et la persistance rétinienne de l’archéologue s’estompe. Pour filer la métaphore, l’effacement cognitif est d’autant plus dommageable que la succession des séquences de fouille est infiniment plus lente que celle des images sur la pellicule d’un film. À cela s’ajoute qu’à la différence du cinéma, la mémoire du fouilleur ne peut se partager auprès du public sur un grand écran.
• 2. La méthode de représentation chronostratigraphique inventée par Edward C. Harris au départ de son expérience de fouille de contextes urbains connus pour leur stratigraphie complexe a certes constitué un apport scientifique fondamental⁶. Elle a permis de renforcer la rigueur de l’archéologue lors de la production des données et d’encadrer la dialectique qu’il entretient avec son lecteur afin de communiquer ses interprétations. Cependant, tous les praticiens en ont eu l’expérience, une matrice de Harris, quoique rigoureusement construite et fondée sur des rapports à la fois chronologiques et matériels très concrets, est en réalité un objet de pensée très abstrait.

9. Dès que la stratigraphie devient légèrement complexe – c’est-à-dire dès qu’il devient utile de produire un diagramme stratigraphique –, le lecteur doit cheminer dans un arbre touffu de rapports spatiotemporels. Cet échafaudage à la fois schématique et foisonnant aide certes à suivre l’interprétation séquentielle et chronologique de l’archéologue, mais son mode de représentation, épuré de l’image concrète des strates, ne facilite pas la lecture. Il est souvent difficile de relier systématiquement le diagramme aux autres documents de démonstration, pour se laisser convaincre ou au contraire proposer un éclairage alternatif des faits mis au jour par la fouille.

10. Autrement dit, la conformation d’une matrice de Harris permet de formuler une observation incontestablement explicite – c’est d’ailleurs sa fonction d’expliciter –, mais aussi explicitement incontestable. Il faut faire confiance au fouilleur, son témoignage est peu réfutable. Quel archéologue, d’ailleurs, n’a pas ressenti comme un vertige à la relecture de la matrice qu’il a lui-même construite, après que le temps a passé et que les souvenirs de la fouille se sont émoussés ? Même s’il en va classiquement ainsi de tous les processus de mémoire et de témoignage, il faudrait jouir d’une estime de soi en acier trempé pour ne pas ressentir, au moins, une pointe d’insatisfaction épistémologique devant les limites de cette technique d’objectivation des résultats.

11. Ces deux difficultés trouvent une solution si l’on combine l’ensemble des données enregistrées pendant la fouille dans un espace virtuel de synthèse en cinq dimensions. La séquence de modèles 3D construits à chaque étape signifiante de la fouille est alors empilée comme autant d’étages stratigraphiques⁷, dont la succession sur l’axe vertical de l’univers matérialise spatialement l’écoulement du temps – la quatrième dimension.­

12. En parallèle, la représentation graphique classique du diagramme stratigraphique est intégrée en 3D dans cet espace. Les étapes principales de la matrice sont soulignées en reliant physiquement les étiquettes de ses unités et faits stratigraphiques aux couches correspondantes, lorsqu’elles sont visibles sur le modèle 3D (fig. 2). Pour faciliter au lecteur l’identification intuitive de cette connexion, l’étiquette et la texture de la couche sont affectées de la même couleur, comme l’illustrent les unités stratigraphiques 1324, 1596, 1598 et 1560 de la figure 2.

13. La figure 3 montre comment les matériaux et objets mis au jour au sein d’une unité stratigraphique peuvent être différenciés par des couleurs différentes, s’il est utile de mettre en évidence les observations typologiques que l’archéologue a effectuées sur le terrain. En l’occurrence, deux types sont identifiés en jaune et en bleu respectivement (blocs de calcaire provenant de la destruction d’un mur versus vases inachevés issus du remploi de ces mêmes blocs), mais l’analyse pourrait définir jusqu’à quatre types si les numéros d’unité stratigraphique comprennent quatre chiffres. Identifier un nombre plus élevé de types ne poserait d’ailleurs pas de problème, car il suffirait d’associer aux étiquettes une palette en 3D affichant autant de couleurs que nécessaire, plutôt que de colorier directement les chiffres arabes. Cette technique confère au modèle une cinquième dimension typologique.

14. Notons que selon cette méthode, la matrice de Harris intégrée en 3D n’est pas construite seulement au départ des modèles publiés dans l’espace virtuel de synthèse (autrement la matrice et le modèle seraient redondants), mais qu’elle tient compte de l’ensemble des observations stratigraphiques enregistrées dans la documentation écrite, graphique et numérique de la fouille – y compris lorsque les faits ont été observés en dehors de la zone couverte par le modèle 3D⁸.

15. Le modèle 3D, en revanche, est toujours une fenêtre limitée spatialement, dont la résolution et les bords sont définis en fonction des nécessités de la démonstration. Ainsi, chacun des trois étages de notre modèle de synthèse (fig. 1) est construit au départ de relevés beaucoup plus larges, en focalisant les limites de la scène sur la surface utile pour établir le contexte des deux « paddle dolls » mises au jour.

16. Ainsi, l’étage inférieur (maquette AS-2023-3D-4) n’est qu’un détail issu du relevé beaucoup plus vaste Field Survey AS-2023-3D-2, qui compose lui-même, avec quatre autres relevés 3D (Field Surveys AS-2023-3F, 3H, 3I & 3K), un autre modèle de synthèse, à une échelle différente, focalisée sur l’étude taphonomique du mur de clôture nord de la chaussée de Thoutmosis III (fig. 4).

17. En fonction des limites spatiales pertinentes pour la discussion, on peut donc zoomer et dézoomer et adopter différentes échelles de résolution. En outre, chaque étage du modèle de synthèse est également publié séparément sous la forme d’un relevé non interprété, afin de fournir une vue de meilleure résolution en couleurs naturelles (Field Surveys AS-2023-3D-4, 2X-1 et 2Q-3 ; fig. 5, 6, 7).

18. La matrice de Harris en 3D énonce l’interprétation chronologique générale de la stratigraphie, chaque étage du modèle synthétique livre une image instantanée et localisée de la fouille, menée selon une logique stratigraphique. C’est la combinaison des deux sources d’information qui confère un sens archéologique à la séquence.

19. Ce principe s’illustre par exemple à l’étage inférieur du modèle de synthèse (maquette AS-2023-3D-4, fig. 1). Les briques crues contenues dans la couche 1598, dont la surface formait une pente comme toutes les strates du monceau de déblais, ont été intentionnellement laissées en place lors de la fouille, lorsqu’elles reposaient sur la surface des couches sous-jacentes, à la base du tas, à savoir sur le sol de la chaussée dans son état tardif (SO 1163), sur les résidus de sédiment éolien (1630) et sur les débris du démontage du mur de clôture nord (1560). Cette technique de fouille (fig. 8) a permis d’enregistrer dans un seul modèle 3D le contact stratigraphique entre les couches 1560 et 1598, et de mettre ainsi en évidence le changement de nature des débris matérialisant le passage d’une phase stratigraphique (ruine de la chaussée et remploi de matériaux) à la suivante (creusement de la tombe 33 à travers la chaussée du Nouvel Empire).

20. Cette méthode objective aussi le statut stratigraphique du fragment de « paddle doll » 1598-12, situé à l’interface entre les couches 1598 et 1560. Elle révèle en effet que cet objet repose parmi les premiers débris dispersés sur la surface de la chaussée abandonnée et qu’elle appartient à l’unité stratigraphique supérieure (1598, plutôt que 1560), c’est-à-dire au début de la phase de creusement archivée par les déblais. Cette appartenance est assurée par la présence, à un niveau légèrement plus élevé du tas, du seul autre fragment de « paddle doll » (1596-1) exhumé en quatre campagnes de fouille. Les deux objets furent rejetés dans les déblais au départ de la même fosse, à quelques minutes d’intervalle.

21. Dans cette configuration, le diagramme de Harris, complété par les légendes incrustées dans le modèle de synthèse (voir le numéro 1, au sein de la figure 1), fournit au lecteur la chronologie abstraite de la séquence, tandis que l’empilement des modèles présente simultanément les faits matériels concrets.

3. Résultats et observations

3.1. Le contexte stratigraphique

22. Les « paddle dolls » 1598-12, 1596-1 et la baguette 1596-2 ont été trouvées dans deux unités stratigraphiques appartenant à la même phase de creusement rapide et continue. Les notices suivantes décrivent la composition de ces deux couches, ainsi que de la séquence stratigraphique précédant et suivant leur dépôt, dans l’ordre du temps historique, donc à l’inverse des étapes de la fouille. Le lecteur trouvera par ailleurs une description complémentaire en anglais dans les modèles de synthèse « Middle Kingdom Artifacts Dumped by Padiamenope’s Workmen » (fig. 1) et « Taphonomy of the Processional Causeway Wall of Thutmose III » (fig. 4).

3.1.1. Construction de la rampe

23. Avant de décrire cette séquence stratigraphique, il faut rappeler qu’elle repose sur une rampe construite pour franchir un ravin creusé par une paléo-rivière pléistocène⁹. Cet ouvrage permet ainsi à la chaussée menant au temple de Thoutmosis III à Deir el-Bahari de surmonter l’obstacle tout en maintenant une légère pente très régulière¹⁰. Le gros œuvre de cette rampe est constitué d’une série de remblais massifs composés principalement de débris géologiques (surtout du shale, mais aussi du calcaire et d’autres roches locales) et stabilisés par un réseau cellulaire de hagues. Ces étais de maçonnerie informelle remploient notamment des briques crues de différentes périodes (certaines sont par exemple estampillées au nom d’Ahmosé I^er)¹¹, mais le type le mieux représenté, de petites dimensions et d’aspect caractéristique¹², provient probablement du démontage de structures du Moyen Empire. Ce détail est important pour l’interprétation de la séquence stratigraphique suivante, au sujet de laquelle le lecteur se reportera à la maquette de synthèse en 5D (fig. 1).

24. Description des unités stratigraphiques : l’US 1164 (fig. 4, légende 9) se compose d’un gravier (gravel) de shale très concassé dans une matrice sablo-limoneuse (de couleur pale brown, 2.5Y 7/3), dont l’aspect en surface est presque poudreux ; quelques cailloux (pebble) de shale inclus. La couche contient, dans l’ordre décroissant de fréquence, des fragments de corde (31), de grands fragments de bois à l’état naturel (30) et des macro-restes (3 noyaux, 2 coques), des fragments de tissu de lin (12), d’os (cinq, dont un en partie brûlé), de métal (4), de charbon (2), de bois taillé (2), de cône funéraire en terre cuite (2), de bouchon en terre crue (1), d’objet en faïence (1) et de rares tessons érodés.

25. Interprétation : cette couche nivelle les irrégularités des derniers niveaux de remblai constructif de la rampe, pour constituer le sol de la chaussée.

26. SO 1163 (fig. 1, légende 1 et fig. 4, légendes 9 & 19) : interface supérieure de l’US 1164, surface compactée de la rampe, formant le sol de la chaussée.

3.1.2. Fonctionnement et destruction de la chaussée

27. US 1630 (fig. 1 et 4, légendes 10, 20, 28 & 34) : dépôt éolien très pur et homogène composé de petites paillettes de shale très fines (caractéristiques de l’érosion éolienne locale) et, dans une proportion sensiblement plus faible, d’un sédiment fin sablo-limoneux (de couleur light yellowish brown, 10YR 6/4). Cette couche principalement accumulée au pied du mur de clôture nord de la chaussée s’amenuise à mesure qu’elle progresse vers le sud (fig. 4, légende 20). Dans l’espace de la maquette de synthèse en 5D (fig. 1), ce dépôt naturel n’est présent qu’à l’état résiduel parmi les blocs de l’US 1560. La couche contient un noyau de fruit et une perle en faïence.

28. Interprétation : l’accumulation de sédiment matérialise une durée de fonctionnement de la chaussée antérieure à la destruction du mur de clôture.

29. US 1560 (fig. 1, légende 1 et fig. 4, légende 42) : couche produite par la destruction du mur (MR 1631) de clôture nord de la chaussée de Thoutmosis III. Elle se compose de gros fragments de blocs de calcaire jaune et de grès, dont les angles sont généralement coupants (c’est-à-dire issus de la fragmentation récente de la pierre, au moment du démontage).

30. De nombreux indices montrent que ces blocs sont des matériaux de construction taillés et mis en œuvre dans le mur de clôture, puis démontés. Leurs caractéristiques morphologiques et leur aspect de surface sont en effet comparables à l’état des blocs observés en place sur des tronçons du mur conservés en élévation dans la partie orientale de l’Assassif¹³.

31. Ainsi, à côté de fragments bruts provenant du remplissage de la maçonnerie ou de l’éclatement de blocs plus gros, on a répertorié :

• des blocs de parement pourvus d’une face lissée et parfois couverte de pigment beige (et dans un cas un dipinto très fragmentaire à la peinture rouge, dusty coral, 5R 5/6)¹⁴, patinée par les conditions atmosphériques ;
• des pierres de couronnement avec une face courbe ;
• des blocs taillés de formes diverses comportant encore du mortier blanc sur un ou plusieurs côtés jadis inclus dans la maçonnerie.

Soit un total de 176 blocs de construction, dont 76 taillés dans un calcaire jaune¹⁵ et 100 dans le grès¹⁶.

32. Dans la zone couverte par le modèle de synthèse (fig. 1), plus éloignée du tracé originel de la clôture, les blocs sont dispersés (la maquette numérique les met en évidence en jaune). Près de la tranchée de fondation du mur détruit, la couche est plus épaisse (fig. 4, légende 42) et on observe un tri spontané de la taille des débris selon leur profondeur dans la couche. Dans sa partie inférieure, les fragments de calcaire jaune et de grès provenant du démontage sont plus petits et finissent par avoir la taille de cailloux (pebble) et de gravier (gravel) mêlés à un sédiment sableux (silice, particules hétérogènes, peu de limon, couleur light yellowish brown, 10 YR 6/4)¹⁷, contenant peu de restes organiques (deux noyaux de fruits, un fragment de pieu en bois). Dans cet horizon d’interface séparant deux phases, les débris de démontage se mêlent donc au sédiment éolien sous-jacent.

3.1.3. Phase intercalaire

33. Plusieurs indices suggèrent qu’une phase intercalaire a séparé la destruction du mur de Thoutmosis III et les premiers creusements de fosses qui caractérisent le début du chantier de Padiamenopé.

    1. Dans la couche de débris du démontage (US 1560) se trouvait un nid d’hyménoptères tel qu’on en trouve régulièrement dans les recoins de ruines restées à l’air libre suffisamment longtemps.
    2. Dans cette couche 1560, les fragments de blocs de calcaire sont affectés d’une patine jaune, y compris sur les faces qui étaient à l’origine cachées dans la maçonnerie du mur. Comme nous l’avons observé sur des blocs de calcaire de la formation de Tarawan stockés à l’air libre alors qu’ils étaient originellement blancs, cette patine jaune peut se former en un ou deux ans sous l’effet de l’exposition aux éléments naturels (fig. 9).

       

    3. En outre, un sédiment éolien de composition comparable au dépôt 1630 décrit ci-dessus s’infiltrait entre les blocs et les débris, en quantité modeste mais significative, dès la surface de 1560. Cela suggère que cette couche de destruction du mur de clôture nord est restée exposée à l’air pendant une certaine durée avant d’être recouverte par les déblais accumulés par les ouvriers de Padiamenopé.
    4. En parallèle du démontage du mur ou dans la période qui a suivi immédiatement, avant la mise en place du chantier de Padiamenopé, le chaos de débris de calcaire a servi de carrière à matériaux pour un atelier de sculpture de vaisselle. Les sculpteurs travaillaient manifestement in situ, au moins pour dégrossir les blocs, comme l’indique une série de quinze vases inachevés, abandonnés sur place à cause d’accidents de taille. La cinquième dimension typologique du modèle de synthèse signale ces ratés de sculpture en bleu (fig. 1).

    3.1.4. Début des travaux de Padiamenopé

34. Les couches composant le premier tas de déblais accumulé sur la surface de la chaussée sont enregistrées comme suit.

35. US 1598 : gravier (gravel) fin de shale mêlé à de petits débris rocheux blancs, dans une matrice limono-sableuse (de couleur light yellowish brown, 10 YR 6/4) ; quelques cailloux (pebble) de calcaire inclus. Les particules végétales de grande taille sont moyennement abondantes.

36. Un des marqueurs caractéristiques de cette couche est la présence, dispersées dans son épaisseur, de briques crues digitées de petites dimensions d’un type semblable à celui remployé en masse dans les hagues stabilisant la structure interne de la rampe (voir ci-dessus § 3.1.1). Les autres objets prélevés dans cette couche sont, dans l’ordre décroissant de fréquence, des fragments brunis de tissu de lin (8), de bois taillé (6), de corde (2), de bois à l’état naturel (1) et des macro-restes (2), quelques grands tessons, un fragment d’os, une perle en faïence turquoise (light aqua green, 7.5BG 8/4) et un fragment de « paddle doll » (AS-2023-1598-12, fig. 10-11).

37. US 1596 : dans la séquence continue de rejets de matériaux sur le monceau de déblais, ensemble de briques crues du type précédemment décrit (voir US 1598), projetées au même moment sur le tas. Sur la même surface, en périphérie du tas, se trouvent un autre fragment de « paddle doll » et un bâtonnet (AS-2023-1596-1 & 2, fig. 12-13), qui seront recouverts par la suite de l’accumulation de déblais.

38. US 1591 : dans la même séquence continue, niveau de gravier (gravel) très fin de shale dans une matrice sablo-limoneuse (de couleur very pale brown, 10 YR 7/3) ; quelques cailloux (pebble) de calcaire inclus. Les particules végétales sont rares. Sur la surface de ce niveau du tas se trouve une série de briques crues du type précédemment décrit (voir US 1598 et 1596). Quelques tessons (fragments de panse).

39. US 1324 : niveau supérieur du tas, composé de sédiment fin limono-sableux englobant une faible quantité de gravier très fin de shale (paillettes et très petits morceaux), de couleur very pale brown, 10YR 7/4. Pas de particule végétale visible dans le sédiment.

40. Cette couche contient un fragment de cône funéraire d’un type anépigraphe attribué au Moyen Empire, tel que les remblais et les hagues de la rampe en contiennent remployés en grand nombre.

41. Notons que la partie méridionale de ce vaste tas de déblais (donc au sud du modèle de synthèse) avait été fouillée lors de la campagne 2021 et que cette portion, stratifiée de façon comparable, avait déjà livré les mêmes catégories de marqueurs caractéristiques [petites briques crues digitées (US 1145, 1324, 1325), fragments de deux à trois cônes funéraires du Moyen Empire (US 1145, 1325)]. La stratigraphie et la chronologie révélées par ces travaux sont présentées dans deux modèles 3D précédemment publiés (fig. 14 et 15).

42. On peut y observer, sur un même relevé :
    1. des hagues en place dans l’épaisseur de la rampe, construites avec des briques crues remployées en position secondaire et
    2. une coupe au travers du tas de déblais contenant le même type de briques, mais en position tertiaire, issues de la destruction d’une de ces hagues (fig. 14, légende 8 et 15, légende 4).

43. Interprétation de la séquence stratigraphique décrite (§ 3.1.3) : l’ensemble des déblais 1598, 1596, 1591 et 1324 (et les unités stratigraphiques équivalentes fouillées en 2021) procède d’une seule phase de creusement. La stratification interne du tas correspond à la succession des couches et structures rencontrées dans le percement de la rampe.

44. Ces rejets se composent en effet de débris géologiques principalement constitués de shale réduit en un gravier fin, caractéristique du nivellement de la partie supérieure du remblai de construction, juste sous le sol de la chaussée¹⁸. Ils comprennent des matériaux de construction identiques à la majorité des pièces remployées dans le réseau de hagues stabilisant la rampe : de petites briques crues digitées et des cônes funéraires anépigraphes caractéristiques de l’aménagement funéraire de l’Assassif au début du Moyen Empire. Enfin, ces déblais contiennent de petits débris d’objets probablement produits par les activités de force et de portage d’une main d’œuvre abondante, tels que nous en avons trouvé en quantité significative dans la fouille de la rampe (morceaux de cordes, fragments de tissu).

3.1.5. Datation contextuelle des deux « paddle dolls »

45. D’après le macrocontexte de la vallée de l’Assassif, nous pouvons attribuer les deux « paddle dolls » au Moyen Empire et plus probablement à une époque proche du règne de Montouhotep II (XI^e dynastie). Cette datation est cohérente avec l’âge d’une partie importante du mobilier découvert en position secondaire dans les différentes strates de remblai de la rampe.

46. En effet, les matériaux de construction susmentionnés proviennent du démontage de structures funéraires en briques crues du Moyen Empire. Or, on les retrouve aussi bien en position secondaire dans la rampe – l’encaissant de la fosse creusée par les ouvriers de Padiamenopé – et en position tertiaire dans leur tas de déblais 1598 + 1596 + 1591 + 1324.

47. En outre, la céramique en position secondaire mise au jour par la fouille de la rampe, certes peu abondante, daterait en partie des XII^e et XIII^e dynasties¹⁹.

48. Enfin, une planche en bois (AS-2021-1336-3) provenant sans doute d’un cercueil démonté était remployée dans une des hagues de la rampe (fig. 16.)²⁰. Sa datation par le radiocarbone, 2137-1942 BCE cal (2σ, 95,4%)²¹, a livré une probabilité d’ancienneté cohérente avec une attribution à la XI^e dynastie de la sépulture primaire dont provient ce fragment d’objet.

3.2. Deux fragments de « paddle dolls » et un bâtonnet

3.2.1. Fragment de figurine féminine de type « paddle doll », AS-2023-1598-12 (fig. 10-11 ; 17-18 ; 21).

49. Dimensions maximales conservées : hauteur 8,8 cm, largeur 4,9 cm. La pièce est sculptée en bois de cèdre (identification V. Asensi Amorós), dans le même axe que le tronc de l’arbre (« bois de fil »). Seule est conservée la partie inférieure de l’objet, qui est cassé net à la hauteur du tronc, perpendiculairement à l’axe du corps. La surface est par ailleurs assez bien préservée et les pigments sont distincts, malgré les transformations chimiques qui ont manifestement affecté les coloris.

50. On observe, du côté face, trois composantes habituelles du décor de ce type de figurine : le pubis, dont la toison est suggérée par des traits épais noirs ; dans le bas de l’image, on remarque aussi des formes peu distinctes dans les tons rouge et vert. Au-dessus du pubis, une ceinture, représentée par deux traits bleus (ice blue, 5.0 BG 8/2) parallèles et horizontaux, contenant une série de petits traits perpendiculaires rouges (antique rose, 7.5 R 4/6), bleus et noirs. Au-dessus de cette parure, des chevrons horizontaux rouges, noirs et bleus figurent le tissage d’un vêtement, selon l’interprétation convaincante proposée par différents commentateurs²². Comme l’a souligné Maya Müller, ces formes géométriques ne procèdent pas en première intention d’une méthode d’ornementation (Verzierungstechnik), mais de techniques primaires de fabrication (Herstellungstechnik) de textiles attestées au moins depuis l’Ancien Empire, voire auparavant²³.

51. Selon une idée brillante d’Ellen Morris, l’ensemble de cette composition, à concevoir dans le cadre d’un rituel hathorique, pourrait représenter l’instant où une danseuse dévoilait son pubis en soulevant son vêtement, afin de revigorer le défunt de statut royal ou éventuellement privé²⁴. Nous reviendrons sur ce point dans la discussion.

52. L’ornement le plus visible du côté du dos est la ceinture, qui se prolonge selon les mêmes codes que sur la face avant – l’artisan a d’ailleurs pris soin de la peindre également sur les deux tranches de l’objet.

3.2.2. Fragment de figurine féminine de type « paddle doll », AS-2023-1596-1 (fig. 19-20).

53. Dimensions maximales conservées : hauteur 9,1 cm, largeur 5,6 cm. La pièce est sculptée en bois de saule (identification V. Asensi Amorós), à peu près parallèlement au fil (irrégulier) du bois. À nouveau, la partie supérieure du corps a disparu, mais la cassure, globalement transversale, est moins régulière que sur l’autre pièce. Malgré des taches acquises dans les milieux d’abandon successifs, la surface et le décor sont bien conservés.

54. À la différence du fragment AS-2023-1598-12, la planchette n’est pas plate, mais légèrement convexe du côté pubis et concave du côté fesses. Comme la figurine gisait le dos en l’air, nous avons d’ailleurs cru qu’il s’agissait d’un fragment de cuillère, avant d’en reconnaître la typologie en retournant l’objet, une fois le relevé de terrain achevé.

55. On observe les trois mêmes composantes de décor : le triangle pubien, dont les côtés sont rectilignes, contrairement à l’autre figurine, où les bords sont courbes. Les poils sont figurés par de petits points noirs. Pour représenter la ceinture, l’artisan a tracé un long trait rouge parallèle au bord supérieur du pubis et, perpendiculairement, de petits traits rouges (poppy red, 8.75 R 4/14) et noirs (lamp black, N1) alternés.

56. La schématisation des motifs géométriques colorés (rouges, noirs et jaunes) du vêtement repose sur le principe de bandes successives de triangles, puis de chevrons et de longs traits verticaux.

57. Le dos est peint en jaune, couleur conventionnelle de la peau des personnages féminins. La ceinture est prolongée sous la forme d’une ligne rouge encadrée de deux lignes noires horizontales.

58. D’après les styles clairement différents de leurs décors, les deux figurines ne paraissent pas être l’œuvre du même artisan.

3.2.3. Tige en bois sculpté AS-2023-1596-2 (fig. 21-22).

59. Dimension maximale conservée : longueur 18,5 cm. La pièce est sculptée en bois de saule (identification V. Asensi Amorós). Les deux extrémités sont biseautées et des encoches perpendiculaires à l’axe de la baguette sont visibles, en particulier à un des deux bouts, sur deux faces opposées. Ces stries pourraient correspondre à la fixation de cordelettes. La fonction de cet objet n’a pas encore été identifiée : morceau d’un instrument de musique ? Composante d’une maquette ?

4. Discussion

4.1. Une stratigraphie inversée

60. La surface de la chaussée de Thoutmosis III est surmontée par deux séquences de déblais, dont l’aspect, la composition et la couleur sont très contrastés. La première séquence, directement projetée sur la surface de la rampe, est celle que nous avons décrite en détails (§ 3.1.3). Principalement constituée de graviers de shale assez fins englobant des objets en position tertiaire, elle est globalement plus foncée que la séquence de déblais suivante.

61. La seconde phase d’entassement de déblais sur le terre-plein central de la Tombe Thébaine 33 s’élève de façon continue jusqu’à près de 4,8 m au-dessus du plan de la chaussée. Les couches contiennent encore régulièrement des niveaux de débris plus grossiers de shale, mais elles se caractérisent désormais surtout par la présence massive de débris de carriers (identifiables comme tels grâce aux traces d’outils d’abattage) provenant de la formation calcaire de Tarawan, dont la couleur est généralement très blanche. À côté de tessons résiduels de périodes plus anciennes, des poteries de la Basse Époque (XXVI^e dynastie) en constituent le marqueur céramique principal.

62. La succession de ces deux séquences de déblais constitue très clairement une stratigraphie inversée correspondant à deux étapes des travaux de construction de la Tombe Thébaine 33. D’abord, l’équipe procède aux premiers sondages et au creusement initial à travers la rampe de la XVIII^e dynastie, qui traversait une grande partie du nouveau chantier de Padiamenopé (le futur premier pylône, l’enceinte orientale et la première cour inachevée). Ensuite, plus profondément, les ouvriers accèdent à la formation de Tarawan, où ils creusent les cours et les salles souterraines de la tombe-labyrinthe. L’apport encore régulier de morceaux de shale montre qu’à ce stade la provenance des débris géologiques était multipolaire, car le chantier souterrain et aérien de Padiamenopé se développait sur une vaste surface.

4.2. Un contexte tertiaire

63. D’après l’analyse stratigraphique exposée ci-dessus (§ 3.1), la biographie des deux fragments de « paddle doll » fut très longue, depuis leur dépôt initial dans une sépulture primaire au Moyen Empire jusqu’au tas de déblais où elles ont abouti au VII^e siècle avant notre ère.

64. D’après leur décor et l’essence différente des bois, les deux objets ont probablement été manufacturés par des artisans différents (cf. § 58). Il est cependant frappant que les deux pièces aient été trouvées à proximité l’une de l’autre, dans un volume de déblais limité, alors que la fouille en cours a déjà porté sur de nombreux mètres cubes de matériaux (autant dans les remblais de la rampe que dans les déblais ultérieurs) sans jamais mettre au jour d’autres exemplaires de ce type. Il est donc vraisemblable que ces deux artefacts gisaient déjà l’un près de l’autre dans la rampe et, avant cela, dans la sépulture d’origine (les ouvriers de Thoutmosis III n’étaient pas des archéologues chargés de trier le mobilier remblayé en fonction de critères typologiques…). Il faut rappeler à ce propos que des « paddle dolls », parfois de mains différentes, ont régulièrement été trouvées en groupe dans des tombes du Moyen Empire dans l’Assassif²⁵.

4.3. Une destruction volontaire

65. Les cassures nettes des deux pièces ne paraissent pas causées par des facteurs naturels. La « paddle doll » 1598-12 est brisée perpendiculairement à l’axe du tronc humain et au fil du bois ; elle n’est pas érodée ou dégradée par des agents biologiques (bactéries, champignons et insectes xylophages)²⁶, mais affectée d’une cassure propre (fig. 23). Sur la figurine 1596-1, le dommage paraît plus irrégulier (fig. 20) et l’origine de la détérioration est plus difficile à établir à l’œil nu – plusieurs causes peuvent s’être combinées. On observe la présence d’un nœud dans le bois à l’emplacement de la cassure, qui pourrait avoir influé sur sa forme plus irrégulière. Mais la ligne de fracture est à nouveau perpendiculaire à l’axe du tronc humain et au fil du bois, avec la nuance susdite. Sa similarité avec celle de l’autre objet trouvé au même endroit permet de supposer qu’une action humaine volontaire est intervenue ici aussi.

66. L’hypothèse d’une intentionnalité semble donc, pour une fois, étayée en raison de l’état matériel des deux objets, manufacturés dans un matériau peu « cassant » (par opposition, par exemple, à la terre cuite²⁷, très sensible à la fois aux chocs et aux processus chimiques subis dans les sols hydromorphes).

67. Mais à quelle étape de leur biographie ont-ils subi cette intervention humaine ? L’incertitude est grande, les deux seuls moments exclus sont les étapes initiale et finale du voyage. La première, parce que les parallèles ne confirment pas l’hypothèse d’un rite de destruction pratiqué lors des funérailles : les autres « paddle dolls » découvertes dans des sépultures primaires de l’Assassif n’avaient pas subi de dommage clairement identifiable comme volontaire (elles sont intactes ou dégradées par des causes naturelles). Nous pouvons également écarter la dernière étape, parce que si les deux exemplaires avaient été brisés à l’endroit où nous les avons prélevés, nous aurions trouvé aussi les deux autres moitiés (le tas a été exhaustivement fouillé sur une surface significative). En outre, le colmatage de ces débris fut immédiat, ce qui exclut un déplacement par un vecteur inconnu dans les heures qui suivirent leur rejet.

68. Alors, les figurines furent-elles brisées par l’équipe de Padiamenopé à l’emplacement même de l’excavation en cours de creusement – c’est-à-dire au point d’origine des déblais ? Dans ce cas, pourquoi les fossoyeurs auraient-ils ensuite confié les deux « bas » et les deux « hauts » à deux chaînes de porteurs distinctes, chargées d’évacuer les déblais jusqu’à des dépotoirs différents ?

69. Remontons le temps 800 ans plus tôt : le geste de destruction doit-il être imputé aux ouvriers occupés à déverser et disposer les matériaux dans le remblai de construction de la rampe de Thoutmosis III, dans une nuée de poussières soulevée par la noria incessante ? On les a certes observés poser des actes futiles, mais plus constructifs en l’occurrence : certains se sont en effet employés à repositionner en frise des cônes funéraires démontés depuis une tombe du Moyen Empire (fig. 24), en les insérant dans la maçonnerie d’une hague aussitôt enterrée, pour n’être plus jamais vue par aucun humain (à part les archéologues)²⁸. Un geste apparemment gratuit, sans intérêt pratique majeur – si ce n’est de fournir quelques matériaux supplémentaires à une structure de soutènement improvisée. Constatons, du moins, que les bâtisseurs de la chaussée d’Hatchepsout, qui eux aussi déposèrent une « paddle doll » en position secondaire dans le remblai de la rampe construite pour cette reine, le firent en respectant l’intégrité de l’objet²⁹. Mais en l’espèce, il s’agissait peut-être du mobilier accompagnant le ou la défunte dans une (ré)inhumation secondaire, au sens plein.

70. In fine, l’hypothèse chronologique la plus haute n’est peut-être pas la moins vraisemblable. Les deux objets furent-ils brisés en amont de leur enfouissement dans la rampe, longtemps ou peu de temps avant d’être transportés hors de leur dépôt primaire sépulcral ?

71. L’action, située sur les lieux mêmes du tombeau, se déroulerait alors dans un contexte d’« intrusion », un concept dans lequel nous pouvons regrouper les hypothèses d’un pillage ou d’un nettoyage de l’espace funéraire pour remploi ou d’une combinaison de ces deux activités. Dans cette éventualité, quelle logique aurait sous-tendu l’acte destructeur ?

72. Si son perpétrateur percevait encore clairement la signification du dévoilement rituel du pubis (si donc l’interprétation de l’image comme un anasyrma est correcte) et s’il y accordait une quelconque valeur, positive ou négative (de son point de vue ? vis-à-vis de la personne décédée ?), a-t-il simplement voulu procéder à sa négation ou à son annulation ? Un geste fort, une cible déterminée, une signification précise : cette interprétation aurait tout pour flatter notre insatiable désir de sens archéologique³⁰. Mais tout cela fait beaucoup de « si ».

73. D’autres préoccupations pragmatiques et courantes dans le quotidien des professions chargées de l’entretien des cimetières et des espaces sacrés pourraient expliquer le geste. La destruction du mobilier d’accompagnement s’inscrit peut-être tout simplement dans une opération de rénovation et de réappropriation d’un emplacement mortuaire. En un mot, une simple « neutralisation »³¹ de l’aménagement d’origine, afin de pouvoir personnaliser à frais nouveaux l’espace funéraire au bénéfice de son nouvel occupant.

74. Dans cette hypothèse, la désacralisation d’un emplacement auparavant consacré peut se concevoir comme un acte purement pragmatique, que l’opérateur n’entreprend pas nécessairement dans une intention hostile. Comparons avec le contexte des temples. Les souverains bâtisseurs de nouveaux monuments, souvent motivés par le pieux désir de faire encore mieux que les prédécesseurs, ont régulièrement remployé des matériaux prélevés sur des structures cultuelles plus anciennes sans pour autant manifester aucun grief particulier à l’encontre des bâtiments démontés. Il s’agit d’un processus de développement et de remplacement régulier de l’espace utile naturellement perpétué par les générations qui se succèdent.

75. Enfin, il est toujours possible que la destruction procède d’un acte de vandalisme purement gratuit, que ne saisirait l’entendement ni de son auteur, ni de l’archéologue à la recherche de sens. Cette éventualité doit tempérer l’imagination d’une saine modestie interprétative. Une tempérance illustrée par Simon Connor, qui résume très justement un comportement bien attesté chez les humains : « (…) The absence of any understanding of the damaged image/object with only the simple pleasure of damaging something, without any particular meaning… »³². De la part de la main iconoclaste, un pied de nez non prémédité adressé aux chercheurs futurs en quête de sens.

4.4. Le corpus des « padlle dolls »

76. En raison de leur incomplétude et de leur contexte tertiaire, les deux nouveaux exemplaires de « paddle dolls » ne livrent pas d’information nouvelle utile à l’identification de leur signification et de leur fonction.

77. Il vaut cependant la peine de discuter les conclusions de plusieurs études, qui ont contribué de façon importante à cette question dans les premières décennies du XXI^e siècle. Synthétisons brièvement les apports principaux en les passant au crible d’une grille d’analyse ternaire, qui fut mise au point pour l’étude d’autres catégories de figurines féminines³³. Cet outil distingue trois niveaux d’interprétation, dont l’incertitude est croissante.

    1. Le niveau dénotatif : que représentent, littéralement, les signes composant les figurines ?
    2. Le niveau connotatif : à quelle nébuleuse sémantique ces signes sont-ils associés dans l’esprit des Égyptiens ?
    3. Le niveau d’interprétation pragmatique, qui vise à analyser la situation concrète dans laquelle l’artiste a placé sa composition de signes afin de lui faire exercer une fonction particulière, prédicative (commémorer ou communiquer une information) ou performative (actualiser une affirmation ontologique, un statut, une situation, une action). Quelle signification spécifique leur attribue-t-il dans un contexte d’utilisation déterminé ?

78. Un siècle de discussions a essentiellement abouti, au-delà des variantes d’interprétation, à la définition implicite ou explicite d’un champ sémantique visuel (celui de la « fécondité » ou de l’« érotisme », selon les plumes modernes), fondant la plupart des hypothèses sur la fonction des figurines féminines nues en général. Après cette longue exploration des deux premiers niveaux interprétatifs (la dénotation et la connotation), la proposition la plus astucieuse et la mieux documentée – et à mes yeux, celle qui a le mieux fait progresser la question –, fut avancée par Ellen Morris, dans une étude intitulée « Paddle Dolls and Performance » (2011).

79. Son idée la plus féconde permet d’expliquer très logiquement ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe : alors que le pubis dénudé des petites dames est toujours emphatiquement mis en évidence, elles sont par ailleurs toujours vêtues, sur d’autres parties du corps, de tissus aux motifs géométriques colorés. Cette composition était parfaitement intelligible pour un contemporain, si l’on suppose qu’elle représentait un anasyrma (pour reprendre la nomenclature désignant les fameuses terres cuites d’époques grecque et romaine), un dévoilement volontaire du sexe de l’officiante, qui soulève ostensiblement son vêtement afin de provoquer une réaction revigorante auprès du destinataire³⁴.

80. Cette explication éclaire donc la dénotation de ces images, non seulement au niveau statique de la « chose » représentée, un pubis, une ceinture, un vêtement, un tatouage (tel qu’on en observe sur des exemplaires mieux conservés que les nôtres), etc, mais aussi au niveau dynamique et événementiel du « geste ». Ce que ces figures figurent, en fait, ce serait donc un instantané au sein d’un rituel féminin, « the key moment in the ritual-dance » (p. 90).

81. La théorie d’Ellen Morris renouvelle aussi fructueusement l’interprétation au niveau de l’analyse pragmatique, nécessairement plus hypothétique. La savante suppose en effet, de façon plausible, que les producteurs et les utilisateurs des « paddle dolls » concevaient l’accomplissement du dévoilement rituel dans le cadre d’une chorégraphie accomplie par des danseuses membres d’un corps musical (ḫnr.t), qui adressaient leur art au souverain (Montouhotep II) ou, par extension, aux défunts de l’élite thébaine bénéficiant d’une sépulture à proximité de leur souverain, dans la vallée de Deir el-Bahari et de l’Assassif.

82. Dans ces conditions, le dépôt de figurines dans des tombes de l’Assassif aurait répondu, de façon commémorative (une des modalités de la simple prédication), au souhait de préserver le souvenir d’un rituel royal auquel pouvaient accéder des personnes privées (« as tangible commemorations of this contact with the divine »). Ou peut-être, de façon performative, à la volonté de revigorer le ou la défunte en actualisant éternellement le pouvoir énergisant du dénudement rituel par l’intermédiaire de la figurine en bois (« Once magically activated, the khener-performers embodied in the figurines may well have been able to raise their skirts for their owner and thereby revive him or her – as they had Re – from the stupor of death »)³⁵.

83. Cet article novateur a reçu un accueil globalement favorable dans la communauté de recherche sur les figurines égyptiennes, méditerranéennes et proche-orientales³⁶.

84. Il a aussi provoqué des réactions critiques, qui ont pointé la fragilité de certains arguments iconographiques³⁷, dans l’attente d’éventuels nouveaux parallèles. Cependant, ces objections ne sont pas rédhibitoires, car elles n’ôtent rien à l’idée féconde sur laquelle repose la théorie : il est possible que la composition iconique des « paddle dolls » commémorait ou actualisait fondamentalement un geste clef, au sein d’une chorégraphie rituelle.

85. Pourtant, l’historiographie a pour ainsi dire rebroussé chemin récemment, dans une étude de Roberto A. Díaz Hernández recommandant de revenir à une identification très générique de la fonction des « paddle dolls », caractérisées comme des « ritual figurines of fertility »³⁸.

86. Cette démarche, présentée comme antithétique de la théorie proposée dans « Paddle Dolls and Performance », ne fait en réalité que définir une nouvelle fois le champ sémantique commun aux signes qui composent différentes catégories de figurines nues. En subsumant leurs interprétations de la nudité pubienne sous la notion de « fertility », de nombreux auteurs des XX^e et XXI^e siècles, notons-le au passage, ont (dés)habillé le concept d’un atour plus étique qu’émique³⁹. Comment une Égyptienne ancienne résumerait-elle ce champ sémantique, si nous pouvions lui demander son avis ?

87. Quoi qu’il en soit, si nous en restons à ce niveau d’analyse connotatif, nous ne disons en réalité pas grand-chose, puisque le concept cristallisé au centre de gravité du champ sémantique visuel n’est qu’une idée potentielle, susceptible de se manifester dans des situations pragmatiques diverses.

88. En fait, et c’est ce qu’il faut sans doute retenir de cette discussion, les connotations rappelées par Roberto A. Díaz Hernández ne sont pas fondamentalement contradictoires avec l’hypothèse d’un anasyrma accompli à l’occasion d’une performance rituelle déterminée (par exemple, les danses des officiantes au service de Montouhotep II à Deir el-Bahari), si l’on situe l’analyse au niveau de la pragmatique. L’acte de dévoiler rituellement le pubis afin de revitaliser le destinataire du geste, selon le scénario si ingénieusement imaginé par Ellen Morris, met en œuvre des images et des associations d’idées qui entreraient parfaitement dans le champ sémantique visuel de l’« eroticism ». Mon choix de ce terme (dont « eros » est en l’occurrence dépouillé de connotation graveleuse) n’est sûrement pas moins étique et subjectif que « fertility », mais il rend sans doute mieux justice au spectre bigarré des notions jugées comme bénéfiques et stimulantes par les Égyptiens anciens, depuis la contemplation esthétique, la joie festive, le rire revigorant et l’excitation sexuelle, jusqu’à toute la gamme des valeurs positives également associées à la reproduction des générations.

89. Au sujet de la magie reproductive, précisément, Roberto A. Díaz Hernández croit pouvoir fonder sa propre conception des « Ritual figurines of fertility » sur une « Obvious resemblance between Egyptian paddle dolls and African ritual dolls used today by African peoples ». L’argumentation est intéressante et mérite d’être citée in extenso :

« The best known African fertility doll is the Akuaba of the Ashanti in Ghana, whose elongated shape, swollen bottom and no legs remind us of Egyptian paddle dolls. Among the Ashanti it is believed that an Akuaba possesses magical forces for conception instilled in it by a magician or a priest. That is why this kind of African doll is a typical accessory of Ashanti-women until childbirth. This evidence leads us to think that Egyptian paddle dolls were mainly ritual fertility figurines which Egyptian women used as a kind of amulet for getting pregnant and having a happy birth, although their use as toys cannot be completely excluded since children use to play with all kinds of curious objects » (p. 130-131).

90. La recherche de parallèles ethnographiques fait sans aucun doute partie des méthodes fructueuses susceptibles d’ouvrir le champ de la réflexion, lorsque les données proprement archéologiques et historiques sont trop silencieuses. Pour être recevable, le raisonnement doit alors mettre en évidence l’une ou l’autre de ces relations logiques :

    1. Deux parallèles anthropologiques se manifestent indépendamment de toute filiation phylogénétique entre les deux cultures comparées.
    2. Un lien généalogique distinctement retraçable explique les ressemblances entre les faits culturels comparés.

91. En l’occurrence, la ressemblance littérale entre les objets analysés, fondée d’ailleurs sur une étude de première main d’un seul des deux termes de la comparaison (le côté égyptien), n’est absolument pas « obvious ». En quoi les plates « paddle dolls » et la figurine tout en volume des Achantis, qui paraît tenir debout, se correspondent-elles, iconographiquement et fonctionnellement ? Que signifient les « elongated shape, swollen bottom and no legs », sur le plan dénotatif ? Ces questions ne sont pas discutées précisément.

92. Quant à l’hypothèse implicite d’un lien phylogénétique entre les deux contextes culturels (« This cultural similarity suggests the existence of African customs in Egypt before the New Kingdom »), dans ce cas précis, elle ne paraît pas étayée. Pour intéressante qu’elle soit, la méthode de comparaison entre une pratique d’une époque récente, au Ghana, et une catégorie d’objets égyptiens âgés de plus de quatre mille ans se distingue-t-elle clairement, en l’occurrence, d’un simple anatopisme et d’un pur anachronisme ?

93. L’Afrique est grande et sa diversité culturelle, dans l’espace et dans le temps, mérite la nuance. Dirait-on d’un artefact culturel mystérieux, car peu loquace, inventé sur un site de l’Âge du Bronze au Danemark : « Il manifeste probablement telle “coutume européenne” spécifique parce que, naguère, des habitants du Pays basque, une autre région européenne, donnaient telle signification à tel autre objet lui ressemblant à peu près » – après un délai, disons, de plus de trois mille ans ?

94. Pour conclure ce parcours historiographique, signalons encore une étude récente, qui présente l’intérêt d’ouvrir l’horizon de l’analyse loin au-delà de la géographie égyptienne. « Ellen Morris a consacré récemment une excellente étude à l’analyse de ces objets » (les « paddle dolls »), écrivait en effet Juan Carlos Moreno García, en constatant qu’« elle a souligné à juste titre leurs connotations rituelles »⁴⁰ (je souligne).

95. Cet auteur développait ensuite une hypothèse dont on comprend pourtant difficilement comment elle pourrait s’accorder avec la présentation des faits archéologiques et avec l’interprétation proposées dans « Paddle Dolls and Performance ». Selon Juan Carlos Moreno García,

« (…) La décoration des « paddle dolls » ne ferait que reproduire des traits contemporains et considérés typiques des étrangères : des habits aux motifs complexes, très colorés, en laine, ainsi que des tatouages et des coiffures exubérantes. La signification première des « paddle dolls » serait donc celle de représentations de femmes étrangères, dont on cherche à souligner « l’exotique » » (p. 175).

 

96. Cette analyse dénotative (« représentations de femmes étrangères ») et connotative (« dont on cherche à souligner « l’exotique » ») est cependant très spéculative. Le postulat d’une association, dans l’esprit des Égyptiens, entre ce type de figurine et l’idée d’une exogénéité par excellence s’inspire de la constatation selon laquelle une morphologie comparable caractérise, à la même époque, des figurines féminines dans d’autres régions méditerranéennes et proche-orientales⁴¹. Néanmoins, cette similarité de forme n’implique pas nécessairement une influence directe et, même dans l’hypothèse d’une diffusion régionale de l’image, elle ne détermine pas non plus la direction de ce transfert éventuel.

97. Par conséquent, la connotation d’altérité, que conférerait le phénomène hypothétique de la transmission formelle, ne va pas de soi. Qui et de quel côté de l’échange serait l’« étrangère » et, par effet spéculaire, qui et de quel côté l’« indigène » ? Aux yeux de qui ? L’acquisition d’une image importée ou son imitation après assimilation d’une nouvelle technique ne doivent pas nécessairement se concevoir comme une sorte de xénisme visuel. L’ostension d’un objet typé peut aussi conférer de la distinction ou du prestige⁴², en vertu de sa rareté ou de la préciosité conférée par la provenance (supposée) lointaine⁴³. Même dans l’hypothèse où les contemporains de Montouhotep II auraient associé consciemment les motifs des tissus représentés sur les « paddle dolls » à une production d’origine étrangère, cette connotation ne dénoterait pas nécessairement des femmes étrangères, mais pourrait très logiquement évoquer des officiantes égyptiennes parées des plus belles étoffes.

98. « Tatouages », nudité ostensible, « exubérance » de la chevelure, habits richement décorés de couleurs « très vives » – des vêtements tels qu’on en échangeait alors sur les voies commerciales de grand chemin –, la combinaison de ces images suggère peut-être l’idée de femmes étrangères, voire de populations « marginales »⁴⁴ aux yeux de nos contemporains⁴⁵. Encore faudrait-il prouver qu’il en allait ainsi dans l’esprit des Égyptiennes.

99. Rien, en réalité, dans les données typologiques et contextuelles rassemblées jusqu’ici n’encourage clairement à penser que les so-called « paddle dolls » fussent intrinsèquement ou extrinsèquement associées, dans l’esprit des Anciens, aux notions d’altérité ou d’exotisme. Leurs contextes de dépôt paraissent au contraire parfaitement intégrés dans la vie symbolique des membres de l’élite entourant Montouhotep II et sa cour⁴⁶.

100. Au final, l’hypothèse posée est lourde (au sens où son adoption pèserait fort sur l’interprétation des faits), mais elle repose sur des indices archéologiques assez légers. Limitons-nous à deux exemples.

101. Exemple 1. À propos du contexte de découverte des « paddle dolls », l’auteur écrit ceci :

« Enfin, qu’elles apparaissent surtout dans les tombes de l’élite de la région thébaine depuis le règne de Montouhotep II, à savoir une période d’intensification des contacts commerciaux, viendrait confirmer le rapport entre les « paddle dolls » et les échanges à une époque où des spécialistes étrangers s’installent en Égypte, quand l’approvisionnement en turquoise, en lapis-lazuli, en myrrhe, en encens et en autres produits de luxe devient une « affaire d’État », avec des fonctionnaires dévolus à leur gestion » (Moreno García 2017, p. 181).

L’idée d’un lien non fortuit entre échanges internationaux et « paddle dolls » est encore affirmée explicitement en conclusion :

« Ce n’est donc pas un hasard si les « paddle dolls » sont plus fréquentes dans les zones à forte implication commerciale, comme la région thébaine ou la Moyenne Égypte depuis la fin de la Première Période Intermédiaire, et surtout à partir du règne de Mentouhotep II » (Moreno García 2017, p. 184).

102. Cependant, la coïncidence de la forme rituelle et artistique discutée et d’un arrière-plan économique international peut, au contraire, tout à fait procéder du hasard ou d’un biais d’interprétation. À supposer qu’une causalité ou ne fût-ce qu’une corrélation soit démontrable en l’occurrence, elle pourrait aussi être imputée à d’autres causes.

103. Les contextes de provenance désignent en effet clairement ces objets comme une catégorie de mobilier affectionnée par les membres de l’élite thébaine⁴⁷. Le champ sémantique visuel mobilisé connote davantage la distinction sociale que la marginalité. Si la majorité des « paddle dolls » furent découvertes à Deir el-Bahari et dans l’Assassif, c’est parce que c’est là que fut installée la plupart des inhumations de hauts personnages constituant l’entourage de Montouhotep II, conformément à la topographie sociale classique des nécropoles de Résidence royale. Par définition, on n’a jamais découvert une « paddle doll » dans une tombe « normale », c’est-à-dire, dans le cadre d’une économie et d’une structure sociale hyper-inégalitaires, une tombe de « pauvre »⁴⁸.

104. Par conséquent, si l’on veut établir un lien entre la localisation des trouvailles de « paddle dolls » et une économie internationale florissante, ce sera un lien de corrélation : ces objets proviennent (nécessairement) de tombes de familles aisées, qui vivent (logiquement) dans un environnement de concentration de richesses, dans l’entourage d’un souverain dont il se trouve que le règne connut une intensification des contacts commerciaux.

105. Exemple 2. Un autre argument directeur censé documenter le caractère étranger du type iconographique des « paddle dolls » est la présence d’un exemplaire dans une tombe de Qoubbet el-Haoua (n° 88) où fut également découverte une coupe de style égéen (Kamares)⁴⁹. Cette cohabitation est mise en parallèle avec les indices, issus notamment d’une biographie conservée dans une autre tombe (n° 110), montrant qu’Éléphantine jouait vraisemblablement un rôle de relai commercial à la croisée des routes. Juan Carlos Morreno García en conclut :

« Rien d’étrange donc à ce que le dignitaire inhumé dans la tombe n° 88 de Qoubbet el-Haoua soit aussi entouré́ d’objets attestant ces contacts, comme un vase Kamares ou une “paddle doll” » (p. 176).

106. L’argument est léger. D’après les contextes d’invention, les céramiques minoennes importées et les imitations minoïsantes atteignent à cette époque non seulement les plus hautes sphères de la société, mais aussi un public assez large, caractérisé par une aisance matérielle plus modérée⁵⁰. Ces importations et ces imitations étaient relativement répandues. Sur le plan contextuel (co-occurrences d’objets dans un même dépôt) et statistique (probabilité d’une telle co-occurrence), il serait donc illusoire de considérer mécaniquement ce voisinage relativement banal comme un indice fiable d’une origine (ou simplement d’une influence) étrangère pour les autres artefacts présents dans les mêmes assemblages.

107. Pour les « paddle dolls » comme pour les autres catégories de figurines féminines nues produites en Égypte, il faut sans doute tirer les conclusions de l’ubiquité de ces objets exposant la « nudité parée »⁵¹, régulièrement trouvés sur de nombreux chantiers archéologiques, de toutes périodes : ils comptent parmi les marqueurs les plus caractéristiques de la culture matérielle de la civilisation de tradition pharaonique⁵². Stylisation de la silhouette et de la physionomie, ostension peut-être chorégraphiée du pubis, vêtement au décor géométrique et coloré évoquant des techniques de tissage, chevelure parée de perles d’argile soigneusement fixées sur leurs fils – on doute, au passage, que les Égyptiennes y aient perçu une « exubérance » connotée d’excès⁵³ : l’état actuel de la documentation n’invite pas à imaginer que ces signes visuels aient pu composer un champ sémantique de « l’étrange » ou de « l’étrangère ».

108. Pour conclure sur une dernière question contextuelle, le voisinage en position tertiaire de la figurine en bois 1596-1 et de la baguette sculptée 1596-2 suggère que les deux pièces proviennent d’un contexte secondaire, voire primaire communs, mais pas nécessairement d’un même artefact composite, car les « paddle dolls » constituent en général un objet autonome. À plusieurs reprises, ces figurines ont été trouvées dans l’Assassif et dans le cimetière du Ramesseum en compagnie d’instruments de musique (claquoirs), parfois en bois (harpe)⁵⁴.

5. Conclusion

5.1. De la « matrice de Harris » à la maquette en 5D espace – temps – typologie

109. La méthode de modélisation en 5D présentée ici apporte une solution au double problème de l’éphémérité des contextes mis au jour sur le terrain et de la désincarnation des conventions formelles de synthèse chronostratigraphique inventées par Edward C. Harris, dont l’abstraction et la déconnexion vis-à-vis des autres moyens de preuve permet difficilement au réutilisateur des données de réfuter (au sens poppérien) l’interprétation de l’archéologue.

110. Les trois premières dimensions de la maquette restituent une image concrète des strates que le fouilleur a détruites à mesure qu’il a progressé. La quatrième dimension relie la matrice de Harris directement aux étages stratigraphiques correspondants, pour la reconnecter au reste de la documentation visuelle du chantier et permettre ainsi au lecteur d’assimiler concrètement, et éventuellement de réfuter la construction chronologique et spatiale établie par l’archéologue. Enfin, la cinquième dimension offre la possibilité d’intégrer dans le même espace virtuel de synthèse un niveau d’interprétation typologique supplémentaire.

111. Certes, le contexte étudié pour notre expérimentation se caractérise par une stratification assez simple. Cependant, la méthode décrite ne connaît pas de limite théorique, elle pourrait être étendue à une séquence plus longue et plus complexe, voire à toute la stratigraphie de la fouille. En fait, les facteurs limitants sont pratiques.

112. Facteur 1. Pour pouvoir modéliser une séquence, la fouille doit avoir été accomplie dans un ordre stratigraphique absolu et menée sans erreur au moment de son exécution. Or, aucune équipe ne conduit une fouille sans jamais se tromper, sans jamais inverser l’ordre de démontage d’un dépôt, sans jamais transpercer un sol avant de constater la méprise – qu’importe, d’ailleurs, pour peu qu’on se corrige à temps et que l’enregistrement stratigraphique soit juste.

113. Mais ce challenge contraignant, si l’on veut modéliser systématiquement la stratigraphie, présente aussi un avantage pratique et psychologique pour les responsables de la fouille et de l’enregistrement : il oblige à discipliner et à coordonner chaque étape de la progression, en anticipant en permanence les prochaines opérations de relevé. Cet exercice influe de façon intéressante tant sur la démarche hypothético-déductive organisant la conduite de la fouille que sur l’interprétation des faits observés, qui est continuellement mise à l’épreuve sur le terrain et en post-fouille, en un mouvement de balancier anticipatif-rétroactif.

114. Facteur 2. La technique et le workflow de la modélisation sont faciles à mettre en œuvre, mais, comme l’élaboration de documents de démonstration classiques (plans, dessins), ils demandent un investissement en temps. Cette opération vaut la peine pour établir un fait archéologique ou historique intéressant et bien défini, dans une démonstration contextuelle. Cependant, l’intérêt de regrouper exhaustivement un nombre important de relevés dans un seul espace de synthèse serait peut-être atténué par les capacités d’observation simultanée de l’utilisateur – un objet virtuel est nécessairement plus facile à actionner quand il est simple que complexe.

115. La solution la plus pratique pour le lecteur consistera probablement à regrouper la totalité des relevés d’une colonne stratigraphique dans un seul espace virtuel, pour servir de clef de positionnement global des faits contextuels⁵⁵ et, en parallèle, à établir des maquettes en 5D de séquences cohérentes, pour développer l’analyse spatiotemporelle de façon plus approfondie. Le (ré)utilisateur des données pourra ainsi voyager en aller-retour entre la carte générale et les contextes détaillés.

116. Facteur 3. L’exemple présenté regroupe seulement trois modèles et pourtant, pour maintenir assez de finesse dans le maillage (mesh) des relevés (une condition nécessaire pour permettre la réfutation poppérienne), leur résolution a engendré un poids numérique conséquent (5,1 millions de triangles, soit un poids de 173,1 mégaoctets en format GLTF). Une colonne de 33 modèles, à cette résolution de maillage, serait impubliable en conservant une bonne expérience de partage en ligne. La solution à cette limitation se situe très probablement dans l’adoption de méthodes d’allègement employées dans l’industrie du jeu vidéo.

5.2. Paddle dolls neutralisées

117. La mise au jour des deux « paddle dolls » ne contribue que très modestement à notre compréhension sémantique et fonctionnelle de ce type d’objet. La trouvaille de deux nouveaux exemplaires dans l’Assassif confirme essentiellement ce qu’on connaissait déjà, à savoir la fréquence des dépôts de ces figurines énigmatiques dans des tombes installées dans l’entourage du temple mortuaire de Montouhotep II. Elle fournit aussi une seconde occurrence de « paddle dolls » enterrées dans un remblai de construction sous la XVIII^e dynastie, à côté de la pièce découverte par A. Lansing en 1919, parmi les objets enfouis en position secondaire dans la rampe construite par Hatchepsout⁵⁶.

118. En revanche, les publications de fouille précédentes ont rarement permis de reconstituer l’itinéraire biographique post-enfouissement de ces figurines avec une telle profondeur diachronique. Notre modèle de synthèse permet en effet d’étayer des réflexions nouvelles sur l’attitude qu’adoptaient les professionnels de la mort à l’encontre du mobilier funéraire des ancêtres. L’enquête établit en effet que la destruction volontaire des deux pièces se produisit à une époque dynastique, alors que le fonctionnement de la nécropole était encore régulier et encadré.

119. La contribution reste ici aussi modeste et les faits demeurent en partie mystérieux – qui arracha de la tombe les petites dames de bois et les brisa ? Et pourquoi ? Mais dans un dossier dont la bibliographie est si développée et, pourtant, l’interprétation si lente à progresser, on perçoit clairement le bénéfice scientifique que procurerait la diffusion et la systématisation, par de nombreuses équipes de fouille, des méthodes de documentation présentées ici. Un renouvellement qualitatif des données discutées favoriserait l’ouverture de nouvelles pistes d’enquête grâce à la multiplication d’observations précisément étayées – et réfutables.

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6. Données numériques en ligne

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1. Colin 31/07/2022. [↩]
2. Ibid. § 14. [↩]
3. Comme dans notre précédente expérience, ibid. § 4. [↩]
4. Colin & Hartenstein et alii 2024, § 8. [↩]
5. Morris 2011, p. 71-72 ; 75, n. 33 ; 76, fig. 1. [↩]
6. Harris 1979 ; Desachy 2008, p. 46-52. [↩]
7. Colin & Hartenstein et alii 2024, § 4-6. [↩]
8. Cependant, en cohérence avec le contexte spécifique étudié et avec l’objectif du présent article, le diagramme intègre seulement les unités stratigraphiques incluses dans la maquette de synthèse (et non la totalité des unités stratigraphiques du chantier). [↩]
9. Colin & Hartenstein et alii 2022, § 13-17. [↩]
10. Voir le modèle numérique d’élévation et les courbes de niveau mettant en évidence la pente de la chaussée de Thoutmosis III, Colin & Hartenstein et alii 2024, fig. 7. [↩]
11. Colin 2021 et 31/07/2022. [↩]
12. Colin & Hartenstein et alii 2022, § 32. [↩]
13. Colin & Hartenstein et alii 2024, § 13, fig. 11. [↩]
14. Rappelant les dipinti visibles sur des segments mieux conservés du mur, cf. Budka 2009. [↩]
15. Dont 30 enregistrés sous le n° 1621, désignant la partie inférieure d’US 1560. [↩]
16. Dont 41 enregistrés sous le n° 1621. [↩]
17. Les objets provenant de cette partie de la couche ont été inventoriés séparément (US 1621) lors de la fouille, dont le résultat a montré qu’il s’agissait toujours de la même couche, stratifiée en fonction de la taille des débris (voir les deux notes précédentes). Il n’est donc pas utile de maintenir une distinction dans l’analyse en post-fouille. [↩]
18. Dans d’autres segments du remblai, les débris de shale ont parfois un module sensiblement plus gros, cailloux (pebble) et même blocs de plus de 20 cm (boulders). [↩]
19. Colin & Hartenstein et alii 2022, § 30 et 46. [↩]
20. Idem, Ibidem, § 33. [↩]
21. Pôle d’archéométrie de l’Ifao – Laboratoire de datation par le radiocarbone, Ifao-1003. [↩]
22. Voir par exemple la discussion intéressante de Moreno García 2017, p. 173-175, 181-182, qui imagine les vêtements tissés de laine, en raison notamment de leur coloration. [↩]
23. Müller 2018, p. 393-394. [↩]
24. Morris 2011, p. 86. [↩]
25. Eadem, Ibidem, p. 90-91. [↩]
26. Par contraste très net avec certains exemplaires trouvés ailleurs dans l’Assassif, par exemple Morris 2011, p. 91, fig. 9. [↩]
27. Dans deux études de cas récentes (remontant au prédynastique et au vii^e siècle avant notre ère), on trouvera des conclusions comparables sur la faiblesse de l’hypothèse d’une intentionnalité dans la destruction et dans la dispersion de figurines en terre cuite : Colin 2020, p. 92-93 et Brémont 2023. L’expérimentation intéressante menée par la seconde autrice confirme que l’hypothèse d’une brisure volontaire de ces objets est très difficile à étayer et relève probablement dans la majorité des cas de la surinterprétation. Aux observations exposées, ajoutons que les conditions et paramètres de l’expérience sont très difficiles à contrôler en conditions réelles (comme le souligne d’ailleurs l’autrice p. 141), en particulier en l’absence d’une simulation propre à reproduire les conditions physico-chimiques susceptibles de fragiliser les artefacts pendant des siècles, voire des millénaires (alternances rapides humidité versus sécheresse, faible versus forte température ambiante, salinité potentiellement importante de l’environnement, etc). Les archéologues de terrain savent bien que le simple changement d’environnement physique opéré lorsqu’on transfère un objet en terre cuite hors de son milieu de dépôt dans le gisement (humidité-sécheresse) est susceptible de déclencher des processus de fragilisation très rapides. Au contraire de la terre cuite, notons-le, les statues sculptées dans la pierre comportent parfois des traces d’outil univoques permettant d’objectiver plus facilement les gestes volontaires de destruction, Connor 2022, p. 60. [↩]
28. Colin & Hartenstein et alii 2022, § 31. [↩]
29. Morris 2011, p. 94-95 ; 96 ; 97 (« 6A East of Pabasa »). [↩]
30. Cette recherche de sens est le sujet d’un volume récent sur la destruction des images, dans une optique comparatiste : voir le chapitre d’introduction de Miniaci 2023 et les contributions de l’ouvrage. [↩]
31. Je reprends ici l’expression « neutralize » de Connor 2022, p. 143 ; 147, qui l’emploie pour désigner une action visant à se prémunir contre la menace potentielle représentée par une statue mise au rebut ou perturbée par des pilleurs (voir aussi Connor 2019, p. 287-288). Sans exclure cette éventualité, j’adopte « neutraliser » dans un sens plus neutre et général. À côté de l’hypothèse très spécifique de l’évitement d’une malédiction (« curse? », Connor 2019, p. 287 ; 2022, p. 147), il pourrait aussi s’agir, dans une nécropole, de nettoyer l’espace funéraire proprement pour lui réattribuer une nouvelle fonction (urbanistique) ou un nouveau bénéficiaire (défunt). À cela s’ajoute peut-être aussi le souhait d’éviter que la tombe se transforme en carrière de matériaux et de modérer ainsi les futures tentations d’intrusion. Pour une discussion intéressante et prudente sur les motivations difficiles à démontrer des mutilations de statues dans le contexte d’un temple, voir aussi la publication d’une favissa récemment découverte à Karnak (Charloux et alii 2017, p. 1199-1201 ; Charloux & Mahmoud 2019, p. 193). [↩]
32. Connor 2022, p. 59. [↩]
33. Colin 2020, p. 77-78. [↩]
34. Morris 2011, p. 86 ; 90. [↩]
35. Eadem, Ibidem, p. 84 ; 86-87 ; 90 ; 103. [↩]
36. Donnat & Weygand 2020, p. 17 ; Beha & Donnat 2020 ; Arnette 2022, p. 55-56. [↩]
37. Müller 2018, p. 389-391. [↩]
38. Díaz Hernández 2017. [↩]
39. Sur la focalisation autour du concept de « fertility » dans la bibliographie des siècles derniers sur le Proche-Orient, Budin 2015. [↩]
40. Moreno García 2017, p. 173. [↩]
41. Voir désormais à ce sujet Donnat & Weygand 2020, p. 14, et les différentes contributions auxquelles renvoie cette introduction. [↩]
42. On notera à ce propos que l’enquête iconographique de Müller 2018 mène cette chercheuse à penser que les motifs géométriques et bigarrés inspirés de techniques de tissage étaient connotés par l’idée de sacralité, sans y percevoir une quelconque notion d’exotisme [les tissus associés à des peuples étrangers, dans l’iconographie égyptienne, ne représentant qu’une catégorie iconographique parmi d’autres (p. 394)]. [↩]
43. Par exemple, d’après les scènes d’ambassades égéennes peintes dans le décor de tombes thébaines de la XVIII^e dynastie, les textiles se rangent, aux côtés de la vaisselle en métal, parmi les biens d’importation valorisés dans la représentation que les Égyptiens élitaires se faisaient des marchandises étrangères (Barrett 2009, p. 221). [↩]
44. Moreno García 2017 : « (…) La collaboration entre Égyptiens et populations étrangères – parfois « marginales » – dans l’organisation d’activités jadis du ressort exclusif de l’État, comme le commerce international et l’exploitation des minéraux » (p. 180) ; « (…) Une période au cours de laquelle les populations mobiles et « marginales » ont joué un rôle majeur » (p. 181). [↩]
45. Une perception subjective qui n’est pas, loin s’en faut, universellement partagée. [↩]
46. Morris 2011, p. 72 et passim ; fig. 1 (« The Spatial Distribution of the Paddle Dolls at Asasif ») ; fig. 3. [↩]
47. L’interprétation de Keimer 1948, p. 32, qui voyait en ces figurines « une sorte de simplification (destinée aux pauvres ?) », est clairement un contresens, comme l’ont montré par la suite les études tenant mieux compte du contexte archéologique. [↩]
48. « Normale » et « pauvre », par ces deux termes qualitatifs et non quantifiés, j’entends une inhumation dépourvue de mobilier funéraire ou équipée au minimum, logée dans une simple fosse dans une nécropole non sélective ou introduite par effraction dans l’espace prêt à l’emploi d’une ruine ou d’une sépulture plus ancienne – et toutes les variantes de ces archétypes bien attestés dans les cimetières égyptiens, mais peu représentés dans les musées et mal documentés dans les rapports de fouille. [↩]
49. Moreno García 2017, p. 176. Sur cet objet, qui pourrait aussi être une imitation locale, voir Barrett 2009, p. 214, Table 2. [↩]
50. Barrett 2009. [↩]
51. Donnat & Weygand 2020, p. 20. [↩]
52. Colin 2020, p. 76. [↩]
53. Resituons d’ailleurs les mises en scène muséologiques des coiffures dans leur contexte pédagogique : la disposition « en étoile » parfois observée dans les vitrines est de la main des conservateurs, pas des utilisatrices anciennes de ces objets. [↩]
54. Morris 2017, p. 296, fig. 3 ; 298, fig. 4. [↩]
55. Cf. Colin & Hartenstein et alii 2024, § 4. [↩]
56. Morris 2011, p. 94 ; 96 ; 98, cf. Lansing 1920, p. 15-16. [↩]

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